Par les damné.e.s de la terre est compilation unique en son genre honorant la musique francophone engagée, véritable mémoire patrimoniale des luttes sociales et/ou décoloniales portée par Rocé.

« Je fais partie de cette génération qui a vu naître le rap français, et avec lui l’énorme engouement pour cette musique des enfants de la deuxième et troisième génération d’immigrés. J’ai voulu creuser au-delà du rap, fouiller les artistes de la langue française qui véhiculent la poésie de l’urgence, la poésie à fleur de peau, engagée malgré elle parce que le contexte ne lui donne pas le choix. La poésie des « damné.e.s de la terre ». Dans l’ombre des chanteurs à texte médiatisés existent des femmes et des hommes devenus artistes juste le temps d’un disque.

Inutile de chercher dans ce recueil le morceau « exotique et funky », extrait du folklore destiné à la métropole. Rythmes et textes sont vêtus de leur propre « blues » dur et sincère. La langue française réunit des régions du monde qui portent des fardeaux communs. Géopolitique et sentiments se mêlent. Les paroles des anciens résonnent jusque dans les oreilles des enfants d’aujourd’hui, ceux des diasporas. Un bon nombre des artistes présent.e.s dans ce recueil n’a pas eu la chance de croiser son public à l’époque, je pense que le contexte actuel des migrations et des questionnements identitaires donnera une résonance toute particulière à ces textes et à ces musiques.

Deux historiens, Naïma Yahi et Amzat Boukari-Yabara, écrivent le livret du disque, ils décrivent les contextes de l’époque et des pays dont proviennent les morceaux.

Ce projet, musical et de patrimoine, répond à un besoin : (re)donner la voix aux nouvelles générations qui évoluent en France avec une absence d’identification, un oubli de l’histoire de leurs parents dans le paysage politique et culturel qu’elles traversent en grandissant. Il écrit une autre histoire de la musique en français. À la jonction des luttes de libération des pays d’origines, des luttes ouvrières, des exils, il cristallise une époque où les luttes bâtissaient des fraternités, des affirmations, de la dignité, des liens entre les peuples opprimés et des convergences que l’Histoire des livres scolaires ne dit pas. Il est important à mes yeux de transmettre ces moments de tous les possibles afin d’en imprégner la morosité dans laquelle grandissent les nouvelles générations.

Les enfants des diasporas et ceux des travailleur.euse.s ouvrier.ère.s ont besoin d’avoir des espaces de transmission de l’histoire de leurs parents. Ces parents qui ont sacrifié des années dans des luttes ou dans l’exil et qui ont choisi pour leurs enfants une intégration dans la discrétion et pointée vers un futur sans le poids d’une lourde mémoire. Le passé ne se transmet pas facilement lorsqu’il est emprunt de tabous et qu’on pense ses enfants libres, sauvés, car nés en France. Mais les combats de nos aînés, à la vue des luttes actuelles, sont précieux et utiles. Le présent se débrouille mieux lorsqu’il a de la mémoire.

Ce disque est donc un constat, un bout de mémoire qui montre que le champ des possibles était ouvert un court moment, avant d’être refermé, nous plongeant dans l’individualisme, le court terme, l’absence de projets de société. L’absence des ces histoires dans l’Histoire nous prive de l’espoir, des notions de fraternité, de résistance, de modes d’emplois d’autodéfense. L’époque actuelle nous impose ses fictions dystopiques, des histoires d’échecs et d’impasses.

Le sillon fossilisé dans le disque m’a permis de découvrir des artistes et intellectuels qui ont transmis des solutions multiples. On connaît trop peu le personnage de Frantz Fanon, ce Martiniquais qui a épousé la cause algérienne, on connaît trop peu le grand Franklin Boukaka, artiste congolais qui rend hommage dans une chanson à Mehdi Ben Barka, homme politique marocain. Il a existé un soutien entre étudiants guadeloupéens pour l’indépendance de la Guadeloupe et un militant corse du FLNC qui a décidé d’héberger sur son label leur musique. Nous pouvons être tous d’accord, ça ne sert à rien s’il n’y a pas de projet commun. Je ne sais pas comment sera demain, ce que je sais c’est qu’avec la mémoire nous pouvons additionner la force et l’union des peuples d’hier aux diasporas et subalternes d’aujourd’hui. Nous placer au centre de l’histoire que l’on nous conte afin de rompre avec la logique impérialiste. »

– TRACKLISTING –

1. Jean-Marie Tjibaou – Discours Mélanésia 2000 – Kanaki 1974
2. Joby Bernabé – La logique du pourrissement – Madinina 1985
3. Lena Lesca – Aux Tortionnaires – France 1978
4. Alfred Panou & Art Ensemble of Chicago – Je suis un sauvage – Bénin & USA 1970
5. Léon Gontran Damas – Il est des nuits – Guyane 1988
6. Slimane Azem & Cheikh Nourredine – La Carte de résidence – El Djazair 1979
7. Manno Charlemagne – Le Mal du Pays – Ayiti 1984
8. Guy Cornely – Où sont donc les tam tam ? – Karukera 1969
9. Groupement Culturel Renault – Cadences 1 – France 1973
10. Colette Magny – La Pieuvre – France 1972
11. Salah Sadaoui – Déménagement – El Djazair 1985
12. Võ Nguyên Giáp – « Rien n’est plus précieux » Entretien à Alger – Vietnam 1976
13. Les Colombes de la Révolution – Hommage à Mohamed Maïga – Burkina Faso 1985
14. Hô Chi Minh – « Arbitrer le conflit » – Vietnam 1963
15. Peloquin / Sauvageau – Monsieur l’Indien – Québec 1972
16. Francis Bebey – On les aime bien – Kamerun 1979
17. Léon Gontran Damas – Blanchi – Guyane 1988
18. Groupement Culturel Renault – Cadences 2 – France 1973
19. Pierre Akendengue – Le Trottoir d’en Face – Gabon 1974
20. Eugêne Mona – Pitié – Madinina 1972
21. Dane Belany – Complexium – After Aimé Césaire – France & USA 1975
22. Troupe El Assifa – (Extrait de ‘Ça travaille, ça travaille, et sa ferme sa gueule’) – Maurice 1975
23. Dansons avec les travailleurs immigrés – Versailles – France & Tunisie 1971
24. Abdoulaye Cissé – Les Vautours – Burkina Faso 1978

Des voix de luttes 1969-1988
https://lnk.to/par-les-damne-e-s
(Hors Cadres – sortie le 2 novembre)