Suis-je conscient de mon inconscience, de mon incapacité à prendre véritablement conscience, des voiles et rideaux opaques qui obscurcissent mes pensées, qui noient et abîment ma volonté ? Dédales véritables et méandres artificiels générés par le mastermind, maître du Je et des énigmes de la vie, aussi retord que pervers dans son art de la manipulation, dans son immuable propension à m’éloigner de l’unité.

J’imagine, j’extrapole, j’envisage et je reviens inévitablement à ce que je perçois comme étant les premières lueurs du Moi, ivre de mon ego triomphant, victoire autoproclamée dont je pourrais me satisfaire, addict cependant à ces soliloques intérieurs, sans fondements, sans fondations, sans finalités, éjaculations mentales anorgasmiques et frustrantes.

Heureux le simple en Esprit qui ne cherche pas mais trouve la paix, à en croire les sacro-saintes paroles de ceux qui s’expriment au nom des sages, le tout et le rien viennent naturellement à lui, c’est ainsi, mektoub. Le cherchant pour sa part, creuse, ronge, cherche, soupese, analyse, décortique, s’emploie de mille façons différentes sans jamais parvenir à ce résultat, et pourtant, comme après un effort physique, comme après une chasse, comme après tout « pourquoi pas », il ambitionne de prendre enfin conscience, comme une suprême récompense, le pic de son existence.

Que dire des semblables, humains faits de chair et de sang, d’os et d’eau pour qui la vie n’est rien d’autre qu’une succession d’actes plus ou moins intéressants, plus ou moins complexes, confondent passions et complaisante exécution de tâches, d’actes, travaux de copistes plus ou moins bien réalisés, mécanique rodée, automatique.

J’aime voyager, dit l’un…
D’accord ! et tu es allé où ? demande l’autre. Là où il faut aller !
C’est à dire ?
J’ai « fait » tous les endroits recommandés, les points d’interêt.
Et à quel moment t’es tu perdu ?
Jamais ! j’avais un guide, le gps et le chemin était parfaitement balisé, propre, aseptisé …

Alors, s’agit-il d’un voyage au sens propre du terme, ou d’un trajet aux panoramas figés, qui resteront pour quelques temps ou pour l’éternité dans la mémoire morte d’un téléphone portable, d’un cloud, d’un disque dur, d’une clé usb.

S’échapper, hors des sentiers battus, des conventions, s’affranchir des règles du Maître du Je qui fige nos certitudes, clôture nos rêves et musèle nos ambitions. Ne pas craindre de s’être égaré mais apprendre, tomber, se relever, la tête dans les nuages, les pieds encrés dans le sol, accepter, revendiquer l’erreur et en faire une force créatrice, ainsi il y aura toujours du sens pour celui qui s’émerveille, qui échappe au piège qu’il s’est lui-même rendu, de n’être là que pour subir. Une prise de conscience salutaire, un Escape Mind nécessaire…

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