Pendant l’Occupation, presque octogénaire, menacé comme Juif, Tristan Bernard est arrêté à Cannes et interné au camp de Drancy ; à son départ pour le camp, il a pour sa femme cette phrase : « Jusqu’à présent nous vivions dans l’angoisse, désormais, nous vivrons dans l’espoir. »…
Etienne de la Boétie pour sa part s’interrogeait dans son Discours de la Servitude Volontaire « (…) Pour le moment, je désirerais seulement qu’on me fit comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d’un Tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’on lui donne, qui n’a de pouvoir de leur nuire, qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s’ils n’aimaient mieux souffrir de lui, que de le contredire. Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune, qu’il faut plutôt en gémir que s’en étonner)! c’est de voir des millions et de millions d’hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée, à un joug déplorable, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le seul nom d’un, qu’ils ne devraient redouter, puisqu’il est seul, ni chérir, puisqu’il est, envers eux tous, inhumain et cruel. » Et pourtant l’infamie domine toujours le monde. Les leçons du passé sont des promesses jamais tenues. La démagogie, le populisme règnent sans fard.
Nous autres français auront du mal à le concevoir, mais nous sommes des colonisés culturels. Depuis l’après guerre nous ingurgitons, régurgitons, incubons chaque jour, parfois pour le meilleur et souvent pour le pire la culture américaine. Vestimentairement, artistiquement, linguistiquement, nous singeons leur façon d’être, leurs valeurs, leurs coutumes, leurs programmes télé, leurs fêtes, leur façon de faire des affaires… Tout cela fait partie intégrante de notre vie, à tel point que le remettre en question est quasiment un crime de lèse-majesté et pourtant c’est sans doute pour cela que nous avons tant de mal à nous accepter sociétalement. Il ne s’agit pas de rejeter en bloc cette évidence, mais au contraire d’en faire une arme, d’apprécier à sa juste valeur nos spécificités, notre histoire, notre héritage multiculturel, complexe, vivace. Admettre que nous avons nous aussi de quoi rivaliser et même les dépasser, sans sombrer dans la mélancolie ou l’idéalisme des temps passés. Nous avons un fond culturel d’une puissance sans égale, enrichi par tous les apports qui composent notre société. Le melting pot américain est une chimère tandis que pour nous c’est une réalité applicable, si nous ne passions pas tant de temps à condamner une frange de population obscurantiste, stupide et gangrénée par la haine. Trump est en soi un coup de fouet parfait pour que nous réagissions collectivement, d’Afrique, d’Europe, du Moyen Orient, du monde entier, les composantes du peuple de France peuvent réussir à créer un nouveau champ des possibles. Ensemble. S’imprégnant chacun les uns des autres. Cela demande d’oeuvrer dans un sens commun, d’unir nos forces et d’abandonner nos préjugés, de passer au dessus des aliénations du quotidien. Au lieu de regarder la famille Kardashian, pourquoi ne pas lire un livre de Senghor ou de Camus, évidemment au premier abord ça à l’air moins facile, mais il faut essayer. Cela sonne sans doute comme la pire des folies, mais qu’avons nous à perdre ? Je ne sacrifierai pas mon amour pour la pop culture américaine, j’y ajouterai une touche de nous. Laissons les américains être ce qu’ils sont, ne les jugeons pas, efforçons-nous plutôt de construire une alternative cohérente et modèle dans laquelle nous pouvons nous épanouir. Au delà de la politique, c’est à nous de nous unir au sein de nos villes et villages, de nos cités, du bas vers le haut. De reprendre la main sur notre art, sur notre savoir-faire, nos spécificités en terme d’élégance, de bienséance, d’accueil, d’impertinence, d’humanisme, d’artisanat, de gastronomie, soyons innovants, pionniers, avant-gardistes, ne nous laissons pas abreuver par des messages passéistes et réducteurs. Nous valons bien plus que ça… N’est-ce pas le meilleur moment pour faire notre révolution culturelle ? nous avons déjà éclairé le monde, essayons d’être à nouveau cette lanterne qui guide vers le bien, le beau et le bon…