‘Cause yesterday’s got nothin’ for me
Old pictures that I’ll always see
Some things could be better
If we’d all just let them be … Guns n’ Roses
Un pedigree de Patrick Modiano est sorti en 2005, un sacré bon livre d’après la critique de l’époque. Édouard Baer l’a adapté au théâtre, j’en suis ravi parce que j’adore Édouard Baer. En ce qui concerne Modiano c’est différent. Il a eu le prix Nobel de littérature, une incontestable preuve de qualité pour ceux qui considèrent que la récompense fait l’oeuvre, mais pour ma part c’est juste le mec qui, en se cherchant, a trouvé mon grand-père, Henri Lagroua. Une identité jetée dans ces quelques lignes et désormais figée dans une histoire que je ne peux ni confirmer, ni démentir : (..) Mon père utilise une carte d’identité au nom de son ami Henri Lagroua. Dans mon enfance, à la porte vitrée du concierge, le nom «Henri Lagroua» était resté depuis l’Occupation sur la liste des locataires du 15 quai de Conti, en face de «quatrième étage». J’avais demandé au concierge qui était cet «Henri Lagroua». Il m’avait répondu: ton père. Cette double identité m’avait frappé. (…) Bien plus tard j’ai su qu’il avait utilisé pendant cette période d’autres noms qui évoquaient son visage dans le souvenir de certaines personnes quelque temps encore après la guerre. Mais les noms finissent par se détacher des pauvres mortels qui les portaient et ils scintillent dans notre imagination comme des étoiles lointaines. (..).
Malheureusement mon grand-père est parti trop tôt, emportant avec lui ses souvenirs et sa vérité. Aujourd’hui quand je tape son nom sur internet, en quête d’éventuelles nouvelles informations à son sujet, c’est la seule occurence que je trouve. Il n’y a même pas de liens avec sa cousine Marie Andrée Lagroua Weill Hallé, fondatrice du Mouvement français pour le planning familial, ou avec son père, Henri Lagroua, Gouverneurs des Etablissements de l’Inde en 1926, sa belle soeur Bella Darvi, actrice ou Denise Wegier qui fut sa femme et ma grand-mère. Il n’est que le prête nom de Modiano. Vous me direz dans ce monde qui considère l’anonymat comme un échec fondamental, c’est déjà quelque chose. Alors que faire ? Forger une nouvelle histoire ? Rebattre les cartes du temps ? lui donner le premier rôle ? Ecrire ce livre dont il sera le héros ?
Tout pourrait commencer à Pondichéry en Inde Française, à l’époque où son père était gouverneur et lui un jeune enfant. A cette époque, Henri ne rêve pas. Il vit dans un rêve. Le noir et blanc que l’on associe au début du XX° siècle devient couleurs brulantes, couleurs de pierres précieuses, parfums d’épices et faste d’autrefois. Henri pose solennellement pour une photo qu’il gardera toujours dans son portefeuille, devant la Rolls-Royce qui l’emmène de réceptions en ambassades, lorsque le protocole exige sa présence. Le reste du temps, du haut de ses 8 ans, le teint halé par le soleil, habillé d’un pantalon en lin blanc, le plus souvent torse nu, il arpente les jardins, couloirs, cuisines et autres pièces mystérieuses du palais, en quête d’aventures…
Illustration : Yoshitomo Nara