Contes et fables ont de tous temps porté un message puissant sur le plan philosophique et sociétal. Notre époque désespérément encrée dans le premier degré n’est malheureusement plus en mesure de produire ni même d’apprécier ces formes littéraire qui pourtant donnent à réfléchir dès le plus jeune âge…
Dans la version classique, les trois petits cochons quittent le foyer familial et décident de s’installer. Le premier se construit une maison de paille. Le deuxième se construit une maison de bois. Le troisième, une maison de briques et de ciment. Le grand méchant loup parvient à détruire facilement les maisons des deux premiers petits cochons en soufflant dessus et les dévore. En revanche, il est impuissant contre celle du troisième petit cochon. L’interprétation la plus évidente de ce conte est celle de la capacité d’anticipation et le courage dans l’adversité, symbolisée par le loup. L’individu se contentant de se préparer comme les deux premiers petits cochons se fera détruire par les vicissitudes de la vie. Seule la personne se construisant une base solide peut faire face aux aléas. C’est aussi, selon Bruno Bettelheim dans Psychanalyse des contes de fées, une façon de dire aux enfants qu’on ne peut pas toujours dans la vie agir selon le principe de plaisir, les deux premiers petits cochons ne pensent qu’à s’amuser, mais qu’il faut se soumettre aussi au principe de réalité quand la vie l’impose. C’est également une allégorie rappelant que les enfants devenus grands quittent le foyer familial pour vivre leur vie, et que la vie est faite de choix, qu’il faut assumer.
Rousseau dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, nous dit ceci : « Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : “Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne!” Mais il y a grande apparence qu’alors les choses en étaient déjà venues au point de ne plus pouvoir durer comme elles étaient : car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d’idées antérieures qui n’ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d’un coup dans l’esprit humain : il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l’industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d’âge en âge, avant que d’arriver à ce dernier terme de l’état de nature. […] La métallurgie et l’agriculture furent les deux arts dont l’invention produisit cette grande révolution. Pour le poète, c’est l’or et l’argent, mais pour le philosophe ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes, et perdu le genre humain. »
Quel rapport avec nos petits cochons ? Dans la version de Disney la plus connue, les Sus scrofa domesticus se réfugient chez leur frère bâtisseur qui les accueille, tout en assénant un message moralisateur censé leur servir de leçon. Pour autant, en unissant leurs forces, ils vainquent le loup qui n’a pas d’autre choix que de battre en retraite, bien qu’il rôde toujours, prêt à jaillir au moindre faux-pas… Que pouvons-nous en déduire ? Même si nous ne pouvons revenir à l’origine du genre humain et vivre tous ensemble affranchis du concept de propriété, nous pouvons créer ensemble les remparts contre la folie destructrice. Donner une deuxième chance à ceux qui commettent un faux pas, ne pas les condamner mais les encourager à donner le meilleur d’eux-mêmes et se servir mutuellement des apports des uns et des autres car au bout du compte, même si la maison du troisième est la plus solide, il n’a pas l’ingéniosité du premier, ni la témérité du deuxième, or ce sont ces qualités misent en commun qui permettent la victoire…
Poème, conte, fable, histoire, roman, essai, haïku, article, film, chanson, peinture, sculpture, discussion, discours, conversation… quelque soit la forme, il y a toujours matière à réfléchir, de multiples sens à découvrir, il ne suffit pas de se contenter d’une seule interprétation, mais au contraire, il faut s’efforcer de dégager des pistes de reflexions. Un contre sens peut apporte plus qu’une adhésion sans borne à un raisonnement aussi bien construit soit-il. Personne ne détient la vérité. Le plus important est de ne pas se priver de penser…