C’est peu de dire que l’influence de Nietzsche est encore extrêmement sensible chez tous ceux que sa critique radicale de la morale et de la religion a laissé orphelins d’un principe transcendant sur lequel appuyer leur conscience ou leur raison d’être. La virulence et la radicalité de Nietzsche prêtent à toutes les formes de distorsions, dont ce «nietzschéisme de salon» que l’essayiste Jean-Claude Guillebaud, après l’historien François Châtelet, pointe du doigt : «[…] cette forme un peu bêbête de l’égotisme moderne, qui exalte l’instant, prône la jouissance immédiate et affirme, avec un brin de grandiloquence, son refus de tout projet ou croyance. Nous connaissons mille et un exemples de ces récitations avantageuses. Le plus extraordinaire est qu’elles se proclament « subversives » ou « insolentes », alors qu’elles caressent l’époque dans le sens du poil. Leur invocation emphatique de l’éternel retour, du temps cyclique, leur glorification du vitalisme païen concordent parfaitement avec l’idéologie invisible du libéralisme. Ce nietzchéisme-là est à la révolte ce qu’une pantomime de patronage est à l’art dramatique. Une pose dérisoire, une collaboration déguisée en résistance, une puérilité de potache.» JEAN-CLAUDE GUILLEBAUD, La refondation du monde, Paris, Seuil, 1999 http://agora.qc.ca